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Faute inexcusable de l’employeur : Le guide (clair) pour les victimes

Rédigé par Stéphanie IEVE | 15 oct. 2025 14:03:39

A retenir :

Quand un salarié est victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle (AT/MP), le régime de la Sécurité sociale indemnise d’abord « au forfait ». Mais lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger et n’a pas pris les mesures propres à préserver son salarié, la loi permet une réparation complémentaire : c’est la faute inexcusable de l’employeur (FIE). Elle ouvre droit à une majoration de la rente à son maximum et à l’indemnisation de multiples préjudices personnels. Le tout est encadré par l’article L452-1 du Code de la sécurité sociale et la jurisprudence.

1) Définition légale et critères : « conscience du danger » + « mesures non prises »

Le texte pivot est l’article L.452-1 du Code de la sécurité sociale. Il dispose que, lorsque l’accident est dû à la faute inexcusable de l’employeur, la victime (ou ses ayants droit) a droit à une indemnisation complémentaire. La faute inexcusable est caractérisée si l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel le salarié était exposé et s’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver. Cette définition, d’origine jurisprudentielle (notamment contentieux amiante), est aujourd’hui classique.

Concrètement, il ne suffit pas d’un accident : il faut démontrer un manquement à l’obligation de sécurité en lien avec l’accident ou la maladie. La faute inexcusable n’a pas besoin d’être la cause unique du dommage : il suffit qu’elle en soit une cause nécessaire

2) Obligation de sécurité : de l’« obligation de résultat » à l’« obligation de moyens renforcée »

Pendant des années, la Cour de cassation a parlé d’obligation de sécurité de résultat. Depuis l’arrêt Air France (Cass. soc. 25 novembre 2015, « Air France », n°14-24444 (P+B+R+I)), la Chambre sociale a infléchi sa position : l’employeur peut s’exonérer s’il prouve avoir pris toutes les mesures de prévention prévues aux articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du Code du travail (évaluation, actions de prévention, information-formation, organisation adaptée). On parle désormais, en pratique, d’obligation de sécurité de moyen renforcé. Pour les victimes, cela ne change rien à la définition de la faute inexcusable : la question centrale reste la conscience du danger et l’insuffisance des mesures de prévention.

3) Où agir ? Le pôle social du tribunal judiciaire est compétent

Depuis la réforme des juridictions sociales, les litiges AT/MP et les actions en faute inexcusable se portent devant le pôle social du tribunal judiciaire territorialement compétent

4) Délai de prescription de deux ans pour agir : attention au point de départ !

L’action en reconnaissance de la faute inexcusable est enfermée dans un délai de deux ans. Ce délai est régi par l’article L.431-2 Code de la sécurité sociale : il commence à courir, selon les cas :

  • à compter de l’accident,
  • de la cessation du paiement des indemnités journalières,
  • de la consolidation,
  • ou de la reconnaissance du caractère professionnel de l'accident ou de la maladie.
Ce délai, bref, peut faire l'objet de suspensions/interruptions notamment durant la procédure de reconnaissance du caractère professionnel de l'AT/MP. Mais cela peut être sujet à contestations. Moralité : ne tardez pas

5) La consolidation : un jalon déterminant

On parle de consolidation lorsque l’état séquellaire se stabilise (sans préjuger d’une guérison complète). C’est un repère important pour le calcul des droits et peut constituer un point de départ du délai de prescription de l'action en faute inexcusable (la consolidation coïncide souvent avec la cessation du paiement des indemnités journalières). La CPAM notifie la date de consolidation après avis du médecin-conseil ; cette date conditionne notamment l’évaluation du taux d’incapacité permanente (IPP) et le passage de l’indemnisation en rente (ou capital si l’IPP est inférieur à 10 %).

6) Que peut obtenir la victime ? Majoration de la rente et indemnisation complémentaire

a) Majoration de la rente à son maximum

La reconnaissance de la FIE entraîne de plein droit la majoration de la rente (ou de l’indemnité en capital) à son maximum légal. En pratique, la rente majorée ne peut excéder la fraction du salaire annuel correspondant à la réduction de capacité (ou le montant du salaire en cas d’incapacité totale). Le texte applicable est l’article L.452-2 du Code de la sécurité sociale

b) Indemnisation complémentaire (préjudices personnels)

Si pendant longtemps la Jurisprudence a considéré la liste de l’article précité comme étant limitative, dans une série d’arrêts pourtant anciens datés du 4 avril 2012, la Cour de cassation reconnaît aux salariés victimes d'accidents du travail ou de maladies professionnelles dus à la faute inexcusable de leur employeur le droit à une réparation de l'ensemble de leurs préjudices non couverts par le régime d'indemnisation forfaitaire (Cass. 2e civ., 4 avr. 2012, n° 11-15.393, n° 706 FS - P + B + R + I Cass. 2e civ., 4 avr. 2012, n° 11-14.311, n° 705 FS - P + B + R + I Cass. 2e civ., 4 avr. 2012, n° 11-18.014, n° 544 FS - P + B + I Cass. 2e civ., 4 avr. 2012, n° 11-12.299, n° 712 FS - P + B + R + I). 

En plus de la majoration de rente, la victime peut réclamer à l’employeur (via la caisse qui en fait l’avance) une réparation complémentaire :

  • souffrances physiques et morales,
  • préjudice esthétique,
  • préjudice d’agrément,
  • Aide humaine,
  • Préjudice sexuel,
  • perte/diminution des possibilités de promotion professionnelle, aménagement du logement et du véhicule, etc., selon l’article L452-3 CSS et la jurisprudence. Cette réparation est hors barème AT/MP et vient s’ajouter à la rente. Notez qu’en cas d’IPP à 100 %, une indemnité forfaitaire spécifique s’ajoute encore. 

7) Santé physique et mentale : le périmètre est large

L’obligation de sécurité vise la santé physique et mentale. Les manquements peuvent donc concerner aussi bien des risques matériels (chute, machine non protégée, port de charges, exposition chimique) que des risques psychosociaux (harcèlement, surcharge chronique, absence de mesures de prévention du stress). Le juge apprécie in concreto :

  • le DUERP (document unique),
  • la traçabilité des actions de prévention,
  • la formation,
  • les procédures d’alerte,
  • l’aménagement des postes,
  • l’information sur les risques sont scrutés. 

8) La preuve : qui doit montrer quoi ?

En pratique :

  • À la victime, il appartient de rapporter la preuve que l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger (accidents antérieurs, signalements, observations de l’inspection du travail, alertes du CSE, fiches de poste, évals de risques, courriels, audits, notices, etc.) et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver (absence ou insuffisance d’EPI, de formation, de procédures, d’entretien des équipements, etc.).
  • À l’employeur, s’il veut s’exonérer, de démontrer l’effectivité des mesures de prévention : évaluation des risques mise à jour, plan d’actions, formations traçables, consignes écrites, contrôles et maintenance, adaptation du travail à l’homme, etc. 

9) Illustrations de la « conscience du danger »

  • Risque connu et documenté (amiante, solvants, chute de hauteur, machine dangereuse) sans mesures suffisantes : la conscience du danger est souvent présumée au regard des connaissances générales et de la réglementation.
  • Signalements internes répétés (CSE, CHSCT à l’époque, fiches de presque accident, mails) sans action corrective : indice fort.
  • Absence de formation/consignes/EPI malgré l’exposition au risque : manquement caractérisé.

À l’inverse, la jurisprudence exclut la faute inexcusable si l’employeur ne pouvait raisonnablement pas avoir conscience du danger (risque inédit ou imprévisible, mesures prises à la hauteur des connaissances disponibles, etc.).

10) Procédure type devant le pôle social du tribunal judiciaire

  1. Reconnaissance AT/MP (CPAM) et soins/arrêts.
  2. Consolidation (notification CPAM) et, selon le cas, taux d’IPP et rente.
  3. Action en FIE (dans le délai de deux ans) devant le pôle social ; la caisse est partie à l’instance (elle fait l’avance de certaines sommes).
  4. Mesure d’expertise médicale.
  5. Jugement : reconnaissance (ou non) de la FIE, majoration de rente et fixation des préjudices complémentaires.
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